La 61e édition du Cannes Lions a montré une nouvelle facette du métier de publicitaire. L’arrivée en force de Chief Data Officers et d’ingénieurs a fortement « technologisé » cette industrie. Entre géants du web, jeunes créatifs et développeurs, le Palais des Festivals s’est transformé durant une semaine du mois de juin en réunion de geeks.
Grand Prix, catégorie Branded Content : un jeu sous la forme d’une application mobile pour la chaîne de grill à la mexicaine Chipotle (agence Creative Artists agency, Los Angeles) ; Grand Prix, catégorie Design : une création d’un langage binaire s’inspirant des touches du piano pour le Bergen International Festival (agence Anti Bergen, Norvège) ; Grand Prix, catégorie Direct : une installation d’un écran vidéo géant capable de capter le signal des avions de British Airways et d’indiquer en temps réel leur destination ou provenance (agence OgilvyOne, Londres) ; Grand Prix, catégorie Cyber : une expérience interactive sur 24 heures pour lancer le tube de Pharrel Williams « Happy » pour la maison de disque Universal (agence Iconoclast, Paris) ; Grand Prix, catégorie Mobile : une application Nivea qui vous alerte lorsque vos enfants se sont trop éloignés sur la plage (agence FCB, Brasil) ; Grand Prix ex aequo de la catégorie Film : truquages à la pelle pour que dans le spot Volvo Trucks un hamster puisse conduire un camion et que Jean-Claude Van Damme soit aussi souple qu’une ballerine (agence Forsman & Bodenfors, Suède), etc. etc. L’on pourrait égrainer ainsi tout le palmarès de cette 61e édition.
Quelque chose a profondément changé dans la planète publicité. A tel point que l’autre Grand Prix de la catégorie Film, « Christmas » de Harvey Nichols signé par l’agence Adam&EveDDB London, également Grand Prix de la catégorie Presse, a fait figure d’alien, tant il a surpris par sa simplicité et son absence d’effets spéciaux.
1. Technologie toute !
Comme l’a parfaitement résumé Daniel DiFilippo, Global Technology, Media & Entertainement de PwC : « J’ai eu l’impression d’avoir assisté au Consumer Electronics Show dans le sud de la France ». Qui aurait imaginé qu’aux Cannes Lions, on assisterait à des séminaires sur la préparation d’une Fab Lab et que la présence d’acteurs du web (Google, Microsoft, Apple) soit si forte ?
Cette tendance à rendre tout technologique s’explique par l’importance de l’analyse des données ; or, pour les collecter, les agences de publicité et les agences médias ont désormais besoin d’outils. En conséquence, l’innovation prend le pas sur la créativité publicitaire et les spécialistes du marketing digital sont aussi nécessaires que les créatifs.
2. De la publicité au business digital
Le temps où l’on cherchait à modeler le consommateur par le biais de slogans publicitaires est définitivement révolu. La fonction des stratégies de communication n’est plus de convaincre mais de comprendre le comportement du client, d’où l’importance de ces outils digitaux.
Ce changement de paradigme fut particulièrement visible lors des séminaires : les présentations de nouvelles applications et de nouveaux services étaient pris d’assaut.
Voici quelques idées à retenir :
• Toutes les surfaces vont pouvoir devenir interactives, par exemple Ubi Interactive, Beck’s Playable Poster
• Le Big Data va se mettre au service de nouvelles expériences : écrans pour la campagne British Airways, Google Map Gallery, Prism Skylabs
• La nouvelle génération de Cloud va engendrer des communautés d’intérêts : voir Carousel, Dropcam ou Thunderclap
• Les objets seront de plus en plus connectés, à l’instar des bracelet Disney ou Estimote (iBeacon) et Firefly (colliers connectés)
• La réalité augmentée va atteindre des niveaux inattendus
• La généralisation de l’impression 3D va permettre au public de créer de nouveaux objets.
3. L’explosion du mobile
Sheryl Sandberg, la COO de Facebook, l’a redit sur scène : « Le mobile est l’outil du marketing one-to-one ».
J’en veux pour preuve le palmarès de cette année qui transforme le mobile en télécommande interactive pour la télévision (agence Bascule, Tokyo), en émission de radio pour des villageois sans électricité en Inde (agence Lowe and Partners Worldwide, Mumbai), en outil de mesure pour enfants asthmatiques (agence R/GA New York) ou en « serious game » pour former les navigateurs à la survie en pleine mer (agence CLM BBDO, BoulogneBillancourt). Époustouflant !
4. Explosion des coûts
Ciel que le temps où un annonceur confiait sa campagne à une seule agence nous semble loin ! Keth Weed, Chief Marketing Officer d’Unilever résume ainsi la nouvelle donne pour les marques : « Nous sommes passés du marketing « TO people » au marketing « WITH people ». Résultat, une opération transmédias peut impliquer jusqu’à une dizaine d’agences, car en plus de la stratégie, de la création, de la diffusion, on doit ajouter le SEO, le SEA, le mobile et le social. Le danger, c’est qu’à trop réunir de spécialistes nous perdions la vision de marque ».
Mais cette fragmentation renchérit le coût des opérations de communication. Que faire pour les réduire ? La solution d’Unilever a été de créer un incubateur afin de dénicher des entreprises innovantes. Ce qui a permis de proposer pour la campagne Magnum, avec l’aide de la start-up Aer, une application permettant de trouver le vendeur de glace le plus proche. C’est un début !
5. Big Brother…
Le mariage entre la publicité et la technologie ne va pas sans poser des questions d’éthiques. Lorsque le public publie ad personam sur les réseaux sociaux et reçoit de la publicité contextuelle en contrepartie de la gratuité du service, personne ne peut s’en trouver lésé. Avec l’arrivée de groupes de communication dans le monde numérique, on passe à une étape plus industrielle. L’impact médiatique des réseaux cumulé à la force des marques globales promet de nouvelles campagnes de défense des consommateurs. Et les questions ne porteront plus cette fois-ci sur le choix des visuels ou la taille des mannequins, mais sur le respect des données personnelles. Vivement la 62e édition !